mercredi 15 juillet 2009


La java d'un auteur sans lecteur

Voilà, les rares lecteurs de La java des mendiants me font part de leur enthousiasme. Je sais, vous pensez "ce type ne manque pas d'air !" Bon sang ! c'est mal me connaître que de croire à ma propension à l'exagération et à l'auto-satisfaction. Ils aiment ce livre, qui puis-je ?
Allez, un extrait, oui, nu sur la scène...
Au Palace, on essaye aussi de nouveaux artistes. La mode est aux duos. Ainsi Charles et Johnny y vont de leur prestation siamoise. L’un est au piano quand l’autre, un blondinet aux airs de mouton fou, sautille et chante. Toutes les femmes dans la salle tombent sous le charme du mouton. Charles a du talent, personne ne peut dire le contraire, et ce talent se façonne dans le swing. Quel rythme ! Sans même s’en rendre compte, Il flanque un coup de vieux aux Préjean, Chevalier, Milton… Bien sûr, ces gars ont encore de beaux jours… Mais attention à la bourrasque swing ! Charles, lorsqu’il a fini, regarde les vedettes consacrées, et particulièrement la grande Fréhel. Elle lui fait peur, il reste bouche bée. Tout de même… Cette présence, ce métier… Dans son Languedoc natal, il en a connu des petits cirques, avec des attractions spéciales… A Paris, il a fréquenté la Foire du Trône. Il y songe en écoutant la môme Catch-catch. Alors, plus tard, la voyant au bar, il ne peut s’empêcher de l’aborder, avec tout le culot d’un garnement de vingt piges, il s’exclame :
- Ma parole ! Vous êtes un phénomène de foire !
D’un seul mouvement de poitrine, elle écraserait le mouton. C’est ce qu’il mériterait. Elle pourrait aussi demander à des loupiots pas distingués de lui briser les jambes. Ainsi il ne bondirait plus jamais. Encore plus efficace : elle convoquerait son ami boxeur, qui rentrerait tout de suite en France et viendrait cogner Charles. Plus de dents, plus de swing… Elle commande un autre whisky.
- Je suis une bête de foire ? Tu t’appelles comment ?
- Trénet.
Ce soir, elle est fatiguée. Dranem vient de mourir. Dranem ! L’imbécile heureux ! Le type ridicule avec un chapeau trop petit sur le crâne ! Celui qui chantait les chansons les plus idiotes de la terre… Pétronille, tu sens la menthe… Comme elle l’aimait ! Comme elle l’admirait ! C’était la drôlerie 1900, avant la grande boucherie, avant l’exil, c’était franche rigolade, on croyait le soleil solidement planté à l’horizon… Charles n’a pas connu ça. Il dit que l’inspiration lui vient grâce à elle. Il a écrit deux chansons pour elle. Déjà ? En une soirée ? C’est la manière du jeune homme si doué pour se faire pardonner son impertinence. Elle ne repousse jamais un auteur. Si elle suscite l’envie d’écrire chez les jeunots, alors, tout va bien… Bête de foire ou pas. Enfin, le mouton à l’imagination fertile ne renie pas sa terrible comparaison puisque l’œuvre s’appelle Le fils de la femme-poisson, dans l’esprit de la Môme catch-catch. C’est l’histoire surprenante du rejeton de la femme à barbe qui ne peut épouser la femme sans tête… On ne quitte pas les limites du champ de foire. Charles a de la chance ; Fréhel adore ce type de situation, elle y prend plaisir car, en grande dame, elle ne redoute pas sa propre caricature, ni de se moquer d’elle-même, ni d’en rajouter dans la mise en scène de son personnage. Encouragé, Charles sort de sa poche La valse à tout le monde. Elle lui dit :
- On va se marrer.