vendredi 5 novembre 2010


EXTRAIT DE LA MONEDA (EDITIONS LE MANUSCRIT)



Dans mon appartement, j’avais un vieux tourne-disque. En signant le bail, on m’avait recommandé le silence presque complet sous peine d’expulsion. Ce soir-là, après le départ d’Yma et la remarque de la danseuse, je ne pus résister à l’envie de faire tourner la musique. Adolescent, dans la maison banlieusarde de mes parents, j'écoutais du rock’n’roll pour effrayer le voisinage. Les années avaient passé. Le rock’n’roll avait fondu. Je n’avais plus de voisinage à provoquer ou effrayer mais un nouveau voisinage dont il fallait se méfier. Chaque jour en apportait une nouvelle preuve. N’empêche que je mis un disque. Le mambo m’évoquait Yma. Elle était partie depuis moins d’une heure, j’oubliais déjà ses traits. Peintre, je n’eus peint que le ciel, et encore, un ciel sans nuages. Yma avait des yeux verts. Dans certains pays, elle eût été exhibée sur des podiums, à cause de sa peau troublante et de ses yeux enchanteurs. Dans certains pays, ils n'avaient jamais vu de femme comme elle : brune mais pâle, pâle mais foncée. La difficulté du peintre ! Poserait-elle nue pour moi ? Je ne connaissais rien à la la peinture. Il y avait une solution plus simple, la photographie. Cette idée de nudité à photographier me conduisait encore plus profondément dans certaines interrogations : était-elle une sale petite fasciste ? J'espérais qu’elle ne fût pas totalement une fasciste en herbe. Bien sûr, les militaires n’avaient pas tous le bras tendu, même dans notre pays, et les filles de militaires... Ne m’avait-elle pas dit qu’une branche de sa famille venait d’Allemagne et une autre d'Italie ? Alors, tout correspondait. Je me révoltais : non ! Une sale petite fasciste ne m’étreindrait pas comme elle en était capable, avec liberté, gourmandise pour la liberté… Elle m’avait dit, un soir, que son père respectait les conventions, la constitution, les institutions, les réglementations démocratiquement établies… J'en avais mal au crâne et ça gâchait la soirée du dimanche : yeux verts, épaules tranchantes, peau brune mais pâle. Sur les podiums, en Europe… Poserait-elle nue ?


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