lundi 28 mars 2011

EXTRAIT DE LA MONEDA



Je remarquai des petites crottes amoncelées sur les pierres verdâtres. Oh, je n’y connaissais rien en zoologie ! Les traces menaient à un escalier naturel, éclaboussé des larmes froides du torrent. Là, je vis mon cher petit animal. Pour venir jusqu’ici, je ne m‘étais pas trompé une seule fois. Le rêve d’enfance avait survécu, intact, comme une peinture rupestre. Elle jugea que ce castor paraissait bien vieux et se déplaçait avec difficulté. C’était vrai. Il se traînait l'arrière-train en déséquilibre. Il ne s’occupait plus des troncs d’arbre entiers mais seulement des brindilles en périphérie, celles échouées par le courant. Á mes yeux, il n’en était que plus sympathique ! Vingt-cinq ans de plus qu'à notre dernière rencontre, cela comptait au compteur d’un pauvre castor. C’était le même, j'en étais certain. Nous ne le dérangeâmes pas ; nous l’observâmes dans la peine et la difficulté de son pauvre commerce. Yma posa sa tête sur mes genoux. Nous étions venus pour cela ; cette posture et cette vision. J'en profitai pour adresser une discrète prière, moi qui ne priait pas ou très mal car je n’y croyais pas du tout, à mon papa réfugié dans les nuages. Nul doute qu’il m'avait donné rendez-vous, ici, en ce jour particulier. En somme, ce castor était mon papa. Lui, après notre balade commune de jadis, il déclina. Les années suivantes, il picola sec. Il s’enferma dans son esquif mental, à l’abordage des rivages ancestraux de la débine, ces terres sauvages qui l’attiraient tellement. Sorti de mes pensées et revenu sur la terre, dans cette montagne, je ne vis plus Yma. Cela m’inquiéta mais elle était en-dessous, la tête sur mes genoux. Soudain un tir de fusil claqua dans l’air. Notre vieux castor se renversa, lentement. Du sang se mit à couler avant de rejoindre le torrent. Yma s’était endormie sur mes genoux. Elle se réveilla d'un bond.


- Que se passe-t-il ?


- Quelqu’un a tiré sur mon papa !


- Quoi ? Que dis-tu ?


Elle se releva et vit le petit cadavre tout rond, recroquevillé sur la pierre. Au même instant apparut le camionneur, fusil cassé sur l’avant-bras, avec, derrière lui, deux autres types qui lui ressemblaient.


- Bonjour les amis, dit le salopard, joli tir, non ? Nous allons bouffer cette charogne... Si ça vous chante ?


- Non merci, sans façon.


Le salopard se pencha sur le drôle de cadavre, sortit son couteau de la ceinture, commença le dépeçage. Nous reculâmes terrorisés. Une cascade rouge se propulsa en un étrange geyser avant de retomber dans l’eau claire du torrent. Face à ces criminels, dans notre situation d'expectative et de dégoût, nous comprenions que, l’heure venue, la trouille au ventre l’emporterait sur toute autre considération et que les beaux discours et les protestations démocratiques ne pèseraient pas lourd. Les deux acolytes du boucher avaient un œil sur le dépeçage et l’autre sur nous. Si nous partions trop vite, ils tireraient. Après tout, qui contesterait leur version affirmant qu’ils avaient été attaqués par un homme et une femme à l’air bizarre ? Le camionneur très affairé en profita pour nous interpeller :


- Avez-vous vu, petite madame et petit monsieur, ce que nous ferons bientôt aux « Rouges » ?



Eric Lebreton



La Moneda


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